Les boutiques des sciences ou le savoir comme bien commun

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Les boutiques des sciences ou le savoir comme bien commun

Davy Lorans

À la fin des années 1960 et au début des années 1970, la première « boutique des sciences » est née aux Pays-Bas. Émanant d’étudiants au sein de l’université d’Amsterdam, cette initiative prit d’abord la simple forme d’une boîte à questions mise à la disposition des groupes d’intérêts (associations environnementales, conseils de quartier, groupes de patients, etc.), qui pouvaient venir y déposer des questions ou des besoins, pour donner à la recherche académique l’opportunité de s’y pencher, voire de s’en saisir.

Démarrait ainsi ce qui allait devenir le « modèle néerlandais » de science shops, qui allait essaimer rapidement dans plusieurs pays limitrophes d’Europe du Nord (Allemagne, Danemark, Royaume-Uni) et qui consistait à favoriser la rencontre entre les préoccupations des laboratoires et celles des « simples » citoyens, rendant ainsi le monde d’excellence de la recherche accessible à la société civile, organisée mais souvent dénuée de moyens financiers suffisants, avec comme impacts sous-jacents et considérables une inversion dans l’origine des projets de recherche (d’une logique top-down à bottom-up) ; la montée en compétence des citoyens (via la familiarisation avec des méthodologies, concepts, langages, échelles de temps, etc. issus des disciplines scientifiques mobilisées) ; et l’essor des savoirs académiques et des savoirs profanes comme biens communs.

Les boutiques des sciences ou l’inversion d’un système

Une « boutique des sciences » – science shop en anglais, ou encore Wetenschapswinkel dans leurs Pays-Bas originels – est un dispositif qui propose aux citoyens de soumettre des besoins de connaissances (ou d’expertise, d’évaluation, de solutions...), afin que des étudiants et/ou des chercheurs travaillent à y apporter une réponse, ensemble et de manière accessible.

Si ce concept simple connaît des déclinaisons en fonction des différents contextes (notamment structurels, culturels et temporels), on retrouve de grands principes communs au fonctionnement de ces interfaces entre société et monde académique. Pour les synthétiser, suivons le processus chronologique classique d’un projet boutique des sciences : la soumission d’une demande sociale, son traitement par la boutique, l’entrée en jeu d’étudiants et de chercheurs, puis le retour à la société.

Ainsi, le public premier auquel une boutique des sciences s’adresse est plus précisément la société civile organisée (Civil Society Organizations [CSO] en anglais), c’est-à-dire des collectifs de citoyens plutôt que des individus. La raison est double, pratique et démocratique. En effet, l’expérience a montré que les projets montés sur la demande d’une seule personne pouvaient se révéler fragiles, le désengagement de celle-ci en cours de route étant possible pour de multiples causes (santé, déménagement, manque de temps, etc.) et faisant peser un risque de fin prématurée du projet sur les autres partenaires impliqués (étudiants, chercheurs, laboratoires, coordinateur de la boutique), alors que travailler avec une structure organisée facilite toutes les étapes d’un projet collaboratif, depuis la tenue de réunions de cadrage et de suivi jusqu’à l’organisation de la présentation des résultats auprès d’un public plus large afin d’en maximiser l’impact.

D’un point de vue démocratique également, il apparaît bien plus riche d’impliquer dès l’amont l’ensemble d’un collectif pour faire émerger une problématique commune. En découlera ainsi plus facilement la mobilisation d’un « groupe projet » qui suivra et appuiera les efforts sur le terrain des partenaires académiques. Dans les faits, on observe que c’est souvent une personne qui est à l’origine d’une démarche avec la boutique des sciences, parce qu’elle connaît le dispositif ou assure la présidence ou la direction de la structure. Mais c’est ensuite dans sa capacité à mobiliser les autres membres du groupe que réside du côté de la société civile l’une des conditions favorables au déroulement optimal d’un projet.

Voici les raisons qui expliquent que, depuis la naissance du concept aux Pays-Bas dans les années 1970 jusqu’à aujourd’hui dans de nombreux pays du monde, les partenaires premiers d’une boutique des sciences vont être des associations, des conseils de quartier, des coopératives, des fédérations, etc., en somme les structures qui composent le tiers-secteur tel qu’Alain Lipietz le définit [1].

Poursuivons le processus d’un projet boutique des sciences. Une fois que le collectif a identifié un ou plusieurs questionnements, il contacte la ou les personnes en charge du dispositif (lors d’une rencontre, par mail, par téléphone ou via un formulaire disponible sur l’éventuel site internet). Une rencontre physique est généralement organisée, afin pour les coordinateurs de mieux connaître la structure intéressée (sa taille, son fonctionnement, ses moyens matériels, etc.), de présenter plus en détail le déroulé d’un potentiel projet (dates, implication à prévoir, modalités matérielles, etc.) et surtout de bien saisir les contours de la demande, son origine et ses enjeux affichés ou sous-jacents.

Intervient alors, à ce moment dans certains modèles ou ensuite par l’entremise d’un comité scientifique dans d’autres2, la phase emblématique d’une boutique des sciences : la reformulation. Il s’agit pour les scientifiques qui en ont la responsabilité, de transformer une question plus ou moins précise et formulée en langage courant, en un véritable sujet de recherche.

Exemple tiré d’un cas réel [2]

Question « brute » : « Face à une législation sur les semences de plus en plus mouvante et soumise aux traités internationaux, notamment le brevet américain, comment à l’échelle locale pouvons-nous agir et engager une réflexion pour la création d’un domaine public pour les variétés documentées ou renseignées par des enquêtes de terrain au niveau local ? »

Sujet reformulé : « À la lumière d’une étude bibliographique des données réglementaires et académiques concernant la question et d’une analyse du contexte et des pratiques, le stage visera à établir d’une part la réalité du cadre législatif entourant les semences et d’autre part les perspectives de faisabilité d’une appropriation collective de semences encore libres de propriété intellectuelle. »

L’un des paramètres conditionnant la définition du sujet concerne les modalités pédagogiques sur lesquelles s’appuie la boutique des sciences en question. L’ampleur donnée au projet ne sera ainsi pas la même si un sujet se voit confié à un groupe d’étudiants en cycle licence dans le cadre d’un projet tutoré de deux mois ou si son traitement incombe à un étudiant qui en fait l’objet de son mémoire de master dans le cadre d’un stage de six mois, ou encore à un doctorant dans le cadre par exemple des 224 heures d’une « mission de diffusion et de médiation scientifique ».

Une fois les sujets définis, ils sont proposés aux étudiants selon des modalités propres à chaque boutique : dans certaines en début d’année universitaire, dans d’autres en continu ; le plus souvent sur une page internet dédiée. Les modes de sélection varient également, depuis le principe « premier arrivé, premier servi » jusqu’à de véritables processus de recrutement (candidatures avec CV et lettre de motivation suivies d’entretiens).

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