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===Un livre blanc, pas une nouvelle norme===
 
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Version actuelle en date du 6 avril 2020 à 15:57


À propos de cette «réinvention» chinoise d'Internet…

Posté sur 30 mars 2020 par Milton Mueller Geopolitics de IG , IG Institutions


Voici le dernier non-sens du front numérique américain - Chine de la guerre froide. Un article du Financial Times retient beaucoup l'attention, car il affirme que nous courons un danger imminent que les Chinois utilisent l'Union internationale des télécommunications (UIT) pour imposer une norme entièrement «nouvelle Internet» au monde. On nous dit que les Chinois sont sur le point de créer

"Une forme alternative d'Internet, pour remplacer l'architecture technologique qui a soutenu le Web pendant un demi-siècle."

Il ajoute:

"Huawei et d'autres co-développeurs prévoient de pousser à travers la normalisation de la nouvelle IP lors d'une grande conférence de télécommunications en Inde en novembre."

Ces affirmations sont déformées et inexactes. Mais ça empire. L'article va très loin pour lier les normes techniques promues par la Chine à une exportation de l'autoritarisme chinois.

Regardons la réalité.



Un livre blanc, pas une nouvelle norme

La norme proposée n'est pas du tout une norme, c'est un livre blanc tourné vers l'avenir . Il s'intitule «Réseau 2030 - Un plan des technologies, des applications et des moteurs du marché à l'horizon 2030 et au-delà». Le titre à lui seul devrait vous dire que la chronologie est longue et incertaine.

Loin d'offrir un remplacement bien spécifié pour les protocoles Internet, le diaporama projette de nouvelles applications comme les communications holographiques et un «Internet tactile» et fait valoir (ce que toute personne ayant des connaissances techniques connaît) que la latence et la perte de paquets accompagnent sur l'utilisation des normes IP actuelles peuvent ne pas être optimales pour les utilisations futures prévues. Sa proposition de fond est de «mettre en place un nouveau groupe de recherche» pour voir comment les normes de communication de données peuvent se préparer à ces nouvelles applications. Et loin d'être une «nouvelle», cette vision a été présentée pour la première fois par Richard Li de Huawei en juillet 2018 , il y a plus de 18 mois.

Apparemment, les journalistes du FT (et leurs sources) ne connaissent pas la différence entre un nouveau document sur les normes et un groupe de recherche faisant des projections à long terme sur où les technologies des communications nous mèneront à l'avenir. Ils ne connaissent pas la différence entre l'adoption de normes mondiales et le positionnement vantard d'un fournisseur. Plus important encore, les journalistes FT (et leurs sources) ne comprennent pas que tout scénario dans lequel de nouvelles normes de données pourraient réellement remplacer les versions 4 et 6 de TCP / IP prendra des décennies à se concrétiser. Une nouvelle norme devrait être soigneusement définie, convenue, mise en œuvre puis adoptée par une masse critique des réseaux et systèmes mondiaux si elle devait devenir dominante. Comme nous l'avons souligné dans d'autres recherches , la compatibilité mondiale créée par l'utilisation universelle de TCP / IP et des normes IETF connexes telles que DNS et une racine mondiale commune est pratiquement impossible à abandonner sans sacrifices inacceptables en matière de compatibilité. Une nouvelle norme IETF (IP version 6) créée il y a 20 ans n'a toujours pas remplacé l'ancienne version IP 4, normalisée en 1981.

Rapports manipulés

D'où viennent ces «nouvelles»? Les rapporteurs citent comme source principale un «délégué britannique à l'UIT» qui a demandé à ne pas être nommé. Ils mentionnent ensuite une société de conseil commerciale appelée «Oxford Information Labs» (appelons-la OIL) qui rédige un «document pour l'OTAN» à ce sujet. Ainsi, la source huileuse de cette mini panique est exposée comme une pièce de relations publiques par Emily Taylor et son groupe de consultants, qui a «divulgué» un document public de deux ans à des journalistes crédules et a mis une rotation numérique sur la guerre froide pour promouvoir un rapport ils ont développé. Exporter l'autoritarisme chinois?

La partie la plus mal documentée et la plus répréhensible de cet article, cependant, est son équation d'une norme technique promue par la Chine avec une exportation de l'autoritarisme chinois. C'est le genre de choses que nous attendons du département d'État de l'administration Trump, pas d'un journal respecté. Nous pensons qu'il est impératif que la communauté Internet résiste à la politisation tacite de l'élaboration des normes qui se produit avec ce type de revendications.

Puisqu'il n'y a pas ici de véritables spécifications techniques, il est impossible de savoir si la direction «Nouvelle IP» proposée par Huawei rendrait les communications de données mondiales plus ou moins autoritaires. Nous savons cependant que les États-nations ont peu de mal à censurer les plates-formes, à s'engager dans une surveillance de masse, à mettre en œuvre des fermetures, à exporter leur contrôle et à mener des campagnes d'opérations d'information les uns contre les autres dans le cadre de l'écosystème actuel des normes. L'idée que les normes vont incorporer comme par magie des valeurs meilleures ou pires dans une infrastructure sociale complexe est une fiction qui doit bientôt mourir d'une mort bien méritée, mais c'est une autre histoire.

L'article affirme (sans documentation) qu'un haut-parleur de Huawei a déclaré que la nouvelle norme aurait un point centralisé où une adresse IP spécifique pourrait être «fermée». Si cela s'est vraiment produit, cela montre à quel point cette hystérie est ridicule. Un tel arrangement est ridiculement irréalisable. Demandez-vous simplement: comment les gouvernements et les entreprises du monde s'entendraient-ils dans une norme internationale sur qui détiendrait ce bouton d'arrêt central? D'un autre côté, rien n'empêche les administrateurs des 60 000 opérateurs de réseau existants de bloquer une adresse IP ou un domaine spécifique maintenant.

Que faire face à l'essor de la Chine?

Affrontons l'éléphant dans la pièce, qui est l'ascension de la Chine comme l'une des plus grandes économies du monde avec sa propre technologie concurrentielle à l'échelle mondiale (Huawei) et ses sociétés de services d'information (TikTok). Nous n'aimons peut-être pas le système politique chinois, mais l'essor de la Chine est un fait. Certaines personnes dans l'armée américaine, la communauté du renseignement et le Département d'État de Mike Pompeo peuvent être assez stupides pour penser que nous pouvons revenir en arrière et inverser la tendance, mais ils ont tort. Quelle est donc la réponse appropriée, dans le domaine de la gouvernance de l'Internet, à l'essor de la Chine? Chez IGP, nous rejetons l'idée que le commerce d'équipements et de services de télécommunications fabriqués en Chine constitue l'exportation du contrôle du Parti communiste chinois, pas plus que l'utilisation des plates-formes Apple ou Microsoft par des nations étrangères signifie que le gouvernement américain les contrôle.

On peut s'attendre à ce qu'un pays dont l'économie et la capacité technique se rapprochent de celle des États-Unis veuille influencer les normes mondiales. On peut s'attendre à ce que les entreprises mondiales basées en Chine qui ont une participation dans le marché mondial des TIC souhaitent affirmer leur leadership dans le développement de nouvelles technologies. Pourquoi, devons-nous nous demander, est-il dangereux pour les entreprises chinoises d'avoir de nouvelles idées audacieuses sur les prochaines étapes de l'évolution des communications de données? Les initiatives des entreprises américaines suscitent-elles la même crainte dans le cœur du reste du monde? Les États-Unis développent leur initiative GENI «nouvel Internet» depuis plus de cinq ans, et les Européens et les Japonais ont également exploré les conceptions du «nouvel Internet». N'y a-t-il pas de place dans l'économie mondiale pour qu'un nouvel acteur contribue aux TIC? Ou allons-nous réagir par des blocus économiques et des appels à la peur? Nous savons où les Mike Pompeo du monde veulent aller - et nous avons déjà vu à quel point c'est destructeur. Pouvons-nous faire mieux?

Bien sûr, la montée d'un nouveau joueur modifiera le statu quo. Est-il constructif et raisonnable que le monde développé devienne hystérique à chaque signe que cela se produit? Pouvons-nous développer une réponse plus constructive? C'est un thème pour un autre jour. En attendant, ne retenez pas votre souffle en attendant cette «nouvelle IP».

Réflexions

Charles Geiger - 31 mars 2020 à 08h39 
Merci à Milton Muller pour cette précision intéressante. Ce que j'ai manqué dans l'article, c'est la discussion du rôle et de la fonction de l'UIT dans la normalisation IP. IPv6 a été développé par l'IETF. Je ne pense pas que l'UIT aurait une chance de retirer cette fonction de normalisation à l'IETF. Bien sûr, la Chine et les pays en développement sont majoritaires à l'UIT, mais quelqu'un devrait exécuter les décisions, et c'est là que les choses seraient bloquées. L'UIT a un rôle de normalisation à jouer, bien sûr, mais c'est jusqu'à présent dans le domaine des radiocommunications, des fréquences, des orbites de satellites, etc. Les gouvernements américains et européens ont essayé pendant très longtemps de garder l'UIT hors de l'Internet. Quelle est la situation aujourd'hui?
Milton Mueller - 31 mars 2020 à 12h59 
Bonne question, Charles. L'UIT n'a actuellement aucun rôle dans la normalisation des protocoles Internet, comme vous le suggérez qui est actuellement centrée sur l'IETF. Théoriquement, il est possible qu'une entreprise disposant d'une nouvelle suite de protocoles vraiment radicale utilise un autre site pour la normalisation. Notez que les normes mobiles 2G ont été élaborées par l'ETSI et d'autres organismes régionaux, avant d'être soumises à l'UIT pour réconciliation, et que les normes mobiles 3G provenaient en grande partie du 3GPP et ont ensuite utilisé l'UIT pour la coordination mondiale dans une certaine mesure. Comme vous le suggérez, même si l'UIT devenait le lieu d'une toute nouvelle suite standard de données (ce qui est peu probable en soi), aucun pays ou fournisseur ne dictera unilatéralement l'élaboration des normes, et leur mise en œuvre et adoption dépendra entièrement du marché les incitations d'un éventail assez large de prestataires de services, de fabricants d'appareils, etc. Il est très difficile de voir comment les normes Internet et les normes Web de l'IETF sont facilement ou rapidement déplacées.
Tony Rutkowski - 31 mars 2020 à 16h59 
Salut Charles,
Votre compréhension de cette histoire n'est pas exacte sur de nombreux fronts. Peut-être que cet article aidera à expliquer. http://www.circleid.com/posts/20190715_the_untold_history_of_the_first_cyber_moonshot/
L'intervieweur est l'historien américain du Cyber ​​Command.
Jon Snow - 4 avril 2020 à 00
13 - Salut Tony, votre lien n'a aucun sens. Que diriez-vous de montrer comment Charles comprend quelle histoire n'est pas exacte et sur quel grand nombre de fronts?
Paul Doolan - 4 avril 2020 à 09h33 
Bonjour Milton, je suis d'accord avec une grande partie de votre analyse mais cela me laisse perplexe, j'ai l'article FT - en ligne évidemment - dans une autre fenêtre. Je ne trouve pas du tout «Oxford» ou «OTAN», et la seule référence à «délégué britannique» est à l'auteur de la «réprimande piquante» qui est dans un document d'entrée à la réunion de septembre du GCNT. Ce n'est pas un document public, je ne peux donc pas vous dire qui est ce délégué britannique. Je suis prêt à prendre le risque de vous dire que ce n'est pas Emily Taylor.
Existe-t-il donc plusieurs versions de l'article FT? Pourriez-vous nous montrer d'où viennent les arbitres OIL et OTAN?
Merci,
Milton Mueller - 4 avril 2020 à 12
29 : Paul
Il y avait en fait deux articles publiés par le FT par les mêmes auteurs. Les références à OIL et à son rapport OTAN se trouvent dans l'autre. Le lien vers celui-ci est ici: https://www.ft.com/content/c78be2cf-a1a1-40b1-8ab7-904d7095e0f2

A propos de l'auteur : Milton Mueller

Milton Mueller est l'un des fondateurs de l'IGP, un universitaire de renommée internationale spécialisé dans l'économie politique de l'information et de la communication. Il est l'auteur de Will the Internet Fragment? (Polity, 2017), Réseaux et États: la politique mondiale de la gouvernance de l'Internet (MIT Press, 2010) et Ruling the Root: Internet Governance and the Taming of Cyberspace (MIT Press, 2002)

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© 2020 School of Public Policy au Georgia Institute of Technology